dimanche 10 juin 2007

Lignes d’apprentissage entre la sphère économique et la sphère politique

Il est évident que l’interaction permanente entre deux ou plusieurs éléments entraîne un processus d’apprentissage, ce dernier étant bénéfique pour toutes les parties. Tel est le cas pour les interactions intervenues depuis fort longtemps entre le "politique" et l’"économique". Ainsi, parmi les outputs de cette interaction on trouve l’apparition de termes tels que l’"économie politique" et la "politique économique". Toutefois, ce n’est pas là notre objectif à travers cet écrit. En fait, nous essayerons de mettre en exergue les lignes d’apprentissages entre ces deux sphères : du politique vers l’économique et vice versa.

Le domaine économique a appris beaucoup de choses du milieu politique ; cela pointe des pratiques telles que le gouvernement d’entreprise, les jeux de pouvoir au sein des entreprises, les coalitions d’acteurs au niveau des conseils d’administration de grandes sociétés, etc. Par réciprocité, le monde politique a appris plusieurs pratiques grâce au contact avec la sphère économique ; nous pouvons citer le développement du marketing politique, le new public management, etc.

1. Apprentissage de la sphère économique

1.1. Coalitions d’acteurs et jeux de pouvoir

Le milieu politique se caractérise principalement par les coalitions entre différents partis politiques, non pas selon leur idéologie, mais selon l’exercice du pouvoir ou non. De la même façon, l’entreprise est actuellement de plus en plus conçue comme un ensemble de joueurs placés dans des situations particulières au sein d’une structure plus ou moins précise (ligne hiérarchique, processus budgétaire, division du travail, …). Les joueurs sont dotés d’intérêts et d’objectifs propres. Ainsi, les objectifs de l’entreprise sont discutés à partir de l’interprétation faite par les acteurs compte tenu de leur situation de pouvoir.

Dans ce sens, les individus mènent des stratégies particulières à partir de leur situation propre. La confrontation des stratégies est régulée partiellement par la structure de l’entreprise et s’exprime au travers des jeux de pouvoir. Influence, coalition, conflit sont des éléments normaux du processus politique au sein de l’entreprise. C’est ce que l’on appelle dans le domaine du « management » les jeux politiques internes.

En fait, il existe toujours des luttes internes dans l’entreprise sur les décisions stratégiques. Les acteurs poursuivent donc les stratégies de construction de leur autonomie et de leur influence. Ainsi, dans une organisation, plusieurs jeux politiques peuvent être observés.

Il peut s’agir des jeux de « construction d’empires » : les cadres supérieurs établissent et augmentent leur base de pouvoir à travers l’augmentation de la taille du service qu’ils dirigent, la maximisation de son budget, etc. Ces jeux nécessitent souvent des alliances avec les pairs et, pour les moins puissants, le parrainage de supérieurs.

Il peut s’agir encore des jeux du « changement au sommet » qui cherchent à modifier les équilibres de pouvoir dans l’entreprise. Le fait de se porter candidat à des postes stratégiques reste un moyen privilégié avec la nécessité du soutien de pairs et de supérieurs. Parfois, un groupe se forme avec pour but de forcer l’accès au pouvoir en se plaçant à des postes clés.

1.2. Développement du gouvernement d’entreprise

Comme tous les mots à la mode, la gouvernance est un concept qui paraît indéfinissable. Il s’agit d’un concept vague, mais pourtant ancien. Elle a connu ces dernières années une évolution conceptuelle considérable. Il s’agit d’une notion en vogue qui semble être mobilisée afin de « légitimer de nouveaux rapports entre la politique et l’économie ».

Le "gouvernement" d’entreprise (ou gouvernance d’entreprise, en anglais : corporate governance) est un domaine qui inclut les relations entre les nombreux acteurs impliqués dans l’entreprise (appelés "parties prenantes") et les objectifs qui gouvernent l’entreprise. Les acteurs principaux sont les actionnaires[], la direction et le conseil d'administration. Les autres parties prenantes incluent les employés, les fournisseurs, les clients, les banques ou autres prêteurs, le voisinage, l'environnement et la communauté au sens large.

Cet univers correspond donc à la structure et aux modalités pour surveiller, diriger et gérer les affaires internes et les activités d’une corporation dans l’objectif d’assurer la stabilité financière de cette dernière et d’améliorer la valeur pour les actionnaires. De ce fait, nous pouvons dire que le gouvernement d’entreprise fait référence aux « mécanismes par lesquels les entreprises sont gérées et surveillées de l’intérieur ».

C’est ainsi que l’on entend parler souvent de bonne et de mauvaise gouvernance. En fait, le critère essentiel d’une bonne gouvernance est que les mécanismes de fonctionnement de l’organisation soient organisés de façon à éviter que les intérêts des mandatés prennent le pas sur ceux de leurs mandants. Le gouvernement d’entreprise a été donc nécessaire pour penser les rapports entre divers partenaires internes de l’entreprise, évoluant à des échelles de pouvoirs différents.

2. Apprentissage de la sphère politique

2.1. New Public Management

Dans le domaine des affaires, les choses sont conçues principalement en termes de perte et de profit. En investissant une somme d’argent, nous espérons certainement qu’elle nous rapportera sinon beaucoup plus, tout au moins juste notre mise de départ. Cette logique a été transmise ces dernières décennies au domaine public. Il s’agit du « New Public Management ».

Ce nouveau mode de gestion publique consiste en l’introduction des méthodes d’administration des affaires dans les organisations publiques et les instances politiques. Cela pointe des pratiques telles que des systèmes d’information performants, la prise en compte de la notion de capital humain, les systèmes de mesures de performance, le développement de la culture managériale, etc. Cette mutation dans le mode de gestion publique a provoqué un développement, dans ce même sens, des pratiques politiques.

Ainsi, les partis politiques ont de plus en plus une conception "business" dans leurs activités. De ce fait, derrière chaque action faite, on trouve une volonté de gain, même à long terme. Il s’agit donc, pour le parti politique, de rentabiliser ses activités en "investissant" dans les compagnes "publicitaires". Si paradoxal que cela puisse paraître, ces termes de "investissement" et "publicité" sont actuellement les maîtres mots lors des élections. Ce qui nous amène à parler du marketing politique, constituant ainsi une autre ligne d’apprentissage du milieu politique.

2.2. Emergence du marketing politique

Les entreprises ont fait recours au marketing essentiellement pour commercialiser leurs produits tout en essayant d’influencer le comportement des consommateurs vers le sens voulu. Certes, il s’agit d’une vision beaucoup plus simpliste du marketing, mais cela nous aidera à mieux concevoir le marketing dans le domaine politique. En fait, en projetant cette vision sur l’univers politique, nous dirons que le « marketing politique » est l’ensemble de méthodes dont peuvent faire usage les organismes politiques pour définir leurs objectifs, leurs programmes et pour influencer le comportement des électeurs.

La question qui se pose est la suivante : « un parti politique peut-il vendre un homme politique comme un paquet de lessive ? ». Quoi qu’il en soit, il est très intéressant, nous semble-t-il, de comprendre comment la publicité a fini par envahir la sphère du politique. En s’éloignant de l’idéologie, du programme social, de la pensée politique, …, ce qui nous tient lieu aujourd’hui de vie politique c’est l’image, le slogan, la petite phrase qui tue, etc.

Le marketing tel qu’il est pratiqué actuellement par bon nombre d’entreprises se base sur le « mix commercial ». Ce dernier suppose à ce que l’entreprise développe une politique marketing basée sur les 4 "P" : Produit, Prix, Promotion (ou Publicité) et Place (ou Distribution). Pour l’entreprise, l’ensemble de ces éléments est clair à concevoir. Mais est-il toujours si l’on se place du point de vue des partis politiques ?

Actuellement, la réponse positive devient possible. Un parti politique, lui aussi, a un produit, un prix, etc. Le produit est constitué par le « candidat » aux élections. Il est en fait souvent présenté comme un "Pack Jawal" ou "Pack Midijahiz". Ce produit est conçu de telle sorte qu’il soit acceptable par la majorité des clients (électeurs). Ainsi, l’homme politique ne cherche plus à proposer des programmes, des idées, un modèle de société, mais il cherche uniquement à dire ce que les gens ont envie d’entendre.

Le deuxième élément du « mix » est le prix. Cet élément existe aussi en marketing politique : c’est le vote des électeurs (leurs voix). Le troisième P (la promotion) est conçu par les partis sous forme de "campagnes publicitaires" au lieu de dire "compagnes électorales". Ils investissent en publicité beaucoup plus qu’en programmes, projets, etc.

Pour boucler la boucle, un quatrième P demeure nécessaire : la place. En effet, les partis développent toute une politique de distribution lors des élections. Il s’agit du positionnement de chaque parti par rapport aux autres : nombre de lieux visités, villes dont on a la majorité des voix, etc.

Pour résumer, nous pouvons affirmer que le marketing politique résulte en quelque sorte de la prise de conscience du fait qu’il est facile de manipuler l’opinion publique. On essaie de plus en plus de séduire (à travers des images) plutôt que de convaincre (par un débat d’idées). Bref, le marketing politique vide de sens et de substance le débat publique, c’est lui qui, sous prétexte de faire simple, contribue au désintérêt du citoyen pour la chose publique.

Pour conclure, ces exemples de va et vient entre le "politique" et l’"économique" entraînent des processus d’apprentissage. Ce qui est certainement le cas pour d’autres domaines qui paraissent très divergents. Nous en reviendrons sur d’autres exemples dans les prochains écrits.



Omar EL HADDAD (
elhaddadomar@gmail.com)

Etudiant Chercheur - ENCG TANGER

DESA "Finance, Audit & Contrôle de Gestion"

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